Alors que notre éducation judéo-chrétienne nous répète depuis des siècles qu’il faut apprendre, parfois par cœur, voilà que les neuroscientifiques parlent d’intelligence émotionnelle. Nos sensations s’assimileraient donc à des compétences ? Ah ! Bonne nouvelle : nous en sommes tous dotés ! Les émotions font office de messagers, charge à nous de les entendre. L’empathie est certainement l’outil le plus efficace à cet effet. Le reste n’est plus qu’un savant usage de nos talents innés, les soft skills, douce recette que notre cerveau limbique concocte à notre place. Pour tout comprendre de l’intelligence émotionnelle, venez surfer entre connaissance de soi, compréhension de l’autre et interaction sociale.
Définition de l’intelligence émotionnelle
Intelligence émotionnelle : de quoi parle-t-on ?
L’intelligence émotionnelle consiste à écouter ses ressentis, ses émotions et ceux des autres pour prendre la meilleure décision ou adopter le comportement le plus adapté.
Lisa Bellinghausen, docteure en psychologie, la définit comme une « forme d’intelligence qui suppose la capacité à diagnostiquer son propre état émotionnel ainsi que celui d’autrui et la capacité à mettre en place une tactique émotionnelle afin de favoriser l’épanouissement personnel et collectif et la performance. »
Émane le débat sur l’intelligence des sens face à l’intelligence rationnelle.
Quotient émotionnel Vs quotient intellectuel
Le quotient intellectuel est une « mesure » de l’intelligence qui détermine la capacité à résoudre des problèmes.
« L’intelligence théorique ne prépare pas l’individu à affronter les épreuves de l’existence et à saisir les opportunités qui se présentent », écrit D. Goleman. En effet, la connaissance ne nous protège pas de nos passions. D’autre part, notre parcours de vie notamment professionnel reste influencé par notre position sociale et la chance.
Howard Gardner, surnommé le théoricien des intelligences multiples, dédie un livre à cet antagonisme : Frames of Mind, dans lequel il se révolte contre la tyrannie du quotient intellectuel. Neuropsychologue, il retient sept formes d’intelligence, liste non définitive, à son sens. Elle comprend l’intelligence :
- linguistique ;
- logico-mathématique ;
- musicale ;
- spatiale ;
- kinesthésique ;
- connaissance de soi et capacité d’introspection ;
- naturaliste : reconnaître et classer les espèces naturelles.
Daniel Goleman y ajoute, quelques années plus tard, l’intelligence émotionnelle.
En 2006, Gardner ira encore plus loin en ajoutant la quête de valeurs à sa liste des intelligences.
Les 5 piliers de l’intelligence émotionnelle selon Daniel Goleman
5 composantes entrent en jeu dans la mesure du quotient émotionnel (EQI pour Emotional Quotient Inventory) :
- la perception de soi ;
- la maîtrise de soi
- l’empathie ;
- la motivation ;
- les relations humaines.
Toutes sont cruciales pour un manager ou un leader puisqu’elles font écho à la relation à soi et aux autres.
La perception de soi ou conscience de soi
La perception de soi, c’est la capacité à reconnaître et à comprendre ses propres émotions. Elle influence l’estime de soi. Elle mesure la force intérieure et l’alignement aux valeurs personnelles.
💡 Curseurs : auto-assurance, auto-évaluation objective et réaliste ou auto-dérision.
➡️ Le manager qui a conscience de ses émotions améliore son empathie et la communication avec ses équipes.
La maîtrise de soi ou régulation émotionnelle
La régulation émotionnelle consiste à modérer des réponses impulsives et maintenir une stabilité des émotions. Elle met à l’épreuve notre résistance au changement ou aux imprévus. Elle appelle notamment à la gestion du stress, à notre capacité de résilience et à rester optimiste malgré les déceptions.
Cette soft skill fait écho à l’expression individuelle et met l’accent sur notre capacité à agir de manière autonome et constructive face à nos sentiments, nos émotions et nos pensées.
Elle révèle notre gestion entre nos émotions et nos facultés décisionnelles :
- maîtriser une impulsion ;
- rester objectif ;
- ne pas s’emporter au risque de faire le mauvais choix.
💡 Curseurs : fiabilité, intégrité, acceptation et ouverture au changement.
➡️ Le manager qui régule ses émotions entretient un climat serein au sein de ses équipes.
L’empathie
L’empathie est le processus cognitif qui consiste à identifier la réaction émotionnelle de l’autre, à comprendre le contexte pour en déduire la raison de son comportement. On parle alors d’écoute de niveau 3. Elle permet une discussion ouverte et constructive, qui tient compte des ressentis de l’interlocuteur. Elle favorise un climat de confiance.
💡 Curseurs : accomplissement, optimisme, engagement organisationnel.
➡️ Le manager empathique gagne la confiance de ses équipes, booste leurs motivations intrinsèques.
La motivation
Il convient de distinguer les motivations :
- intrinsèques (nos valeurs profondes et sociales) ;
- extrinsèques (matérielles).
L’intérêt suscite la motivation, il engage une mise en action volontaire vers un objectif.
💡 Curseurs : prise de décision, pouvoir de persuasion, expertise, leadership.
➡️ Le manager sensible aux notions de motivations intrinsèques et extrinsèques est engagé dans sa mission. Il emporte l’adhésion de ses collaborateurs en travaillant aussi leurs motivations personnelles.
Enfin, les compétences sociales ou relations humaines
Les relations humaines et sociales appellent notre capacité à nouer et à entretenir des relations saines, basées sur la confiance et l’empathie. Notre faculté à vivre et à générer des interactions sociales interpersonnelles ou interculturelles de façon harmonieuse.
Savoir confronter ses idées, faire preuve d’assertivité sans rompre la communication relève des compétences sociales.
💡 Curseurs : conduite du changement efficace, empathie.
➡️ Le manager doué de compétences sociales apporte la sérénité dans l’équipe, crée la cohésion, renforce l’adhésion. L’inclusivité et la diversité s’invitent de manière naturelle.
Se comprendre soi-même pour comprendre autrui et interagir
Se connaître soi-même
Comprendre ses émotions, un processus délicat mais impératif pour adapter son comportement.
Le cerveau nous protège. Lorsqu’il détecte un danger, il nous envoie le message d’alerte sous forme d’émotion. Si nous ne savons pas déchiffrer ce signal, nous ressentons l’émotion comme une douleur (physique ou morale) et réagissons de manière incohérente ou disproportionnée. Une émotion mal gérée interdit toute concentration et bloque notre capacité de réflexion.On fait preuve d’agressivité, on reste bloqué ou on se soumet. La fuite, l’attaque ou l’inertie sont les trois symptômes comportementaux que notre cerveau reptilien nous propose. Prendre conscience que les émotions sont le reflet révélateur de ce qu’il se passe chimiquement en nous permet de se poser, pour se reconnecter à notre cerveau pensant et prendre la juste décision.
Comprendre les autres | Le rôle de l’empathie
Ce n’est qu’une fois au clair avec ses propres émotions, que l’on peut comprendre celles des autres. Si cela s’apprend, certains sont plus sensibles que d’autres.
L’exemple de la petite Judy, relaté par Daniel Goleman, montre la capacité innée à reconnaître les talents humains chez les autres. Cette petite fille de 4 ans savait placer les pions représentant ces camarades sur un plateau divisé en catégories : travaux manuels, jeu de construction. Elle voyait dans quel secteur performeraient ces gens-là une fois adultes.
Selon les neuroscientifiques Mayer et Salovey, identifier les émotions, c’est aussi se mettre à l’écoute du langage, des expressions artistiques, des apparences et des comportements, le concept d’empathie est posé.
Pour les citer, l’empathie, c’est l’« habileté à comprendre les sentiments des autres, de les sentir et d’en comprendre la complexité, l’origine et les implications. »
L’empathie relève d’un joli mélange de :
- la perception de ce que l’autre ressent ;
- l’attention accordée à autrui ;
- l’art de laisser la place ;
- la motivation orientée vers le bien-être de l’autre ;
- la douceur qui permet à l’autre de réceptionner l’information comme il le souhaite.
Cette faculté s’explique, entre autres, par les neurones miroirs. Nos lecteurs fidèles le savent déjà : des expériences sur le singe ont démontré que lorsque nous observons une action, notre cerveau envoie les mêmes décharges que lorsque nous réalisons cette action nous-même. Voilà comment on comprend l’autre, on se met à sa place.
Agir et interagir
À ce stade, vous êtes en capacité d’utiliser votre connaissance des émotions pour prendre les bonnes décisions qu’elles soient personnelles ou qu’elles impliquent vos proches ou vos collègues.
L’intelligence émotionnelle rejoint alors l’intelligence sociale. Il s’agit là de jongler entre les compétences innées pour vous engager, donner un sens à vos décisions. Ainsi, vous initiez le changement de manière raisonnée et constructive en intégrant les autres à votre réflexion.
Les soft skills à développer d’ici 2028 selon le Web Future of jobs
Selon le rapport du World Economic Forum de 2023, l’intérêt des organisations augmente plus vite pour les compétences douces que pour les compétences techniques.
Les softskills qui seront de plus en plus demandées par les recruteurs sont :
- la créativité ou pensée créative ;
- la pensée analytique ou réflexion analytique ;
- la culture technique, les connaissances technologiques ;
- la curiosité et la capacité d’apprentissage continu ;
- la résilience et l’agilité ;
- la pensée systémique ;
- la capacité à travailler avec l’intelligence artificielle ;
- la motivation, la connaissance et la conscience de soi ;
- le management, la gestion des talents ;
- l’ouverture au client ;
- le leadership et l’influence sociale ;
- l’empathie et l’écoute active ;
- la fiabilité et l’attention portée aux détails ;
- la gestion des ressources ;
- la citoyenneté mondiale ;
- les capacités sensorielles.
Comment développer son intelligence émotionnelle ?
La matrice de Cooper et Sawaf
Ces auteurs proposent des outils de mesure de l’empathie et la classe selon les 4 dimensions :
- la lecture émotionnelle (honnêteté, énergie, feedback et intuition) ;
- la mise en forme émotionnelle (présence authenticité, confiance, critique constructive, résilience) ;
- la profondeur émotionnelle (donner du sens, engagement, responsabilité, intégrité)
- l’alchimie émotionnelle (saisir les opportunités pour créer le futur).
L’EQ-i (Emotional Quotient Inventory)
Reuven Bar-On, psychologue, théoricien et chercheur), revient quant à lui sur les deux notions précédemment explorées dans cet article :
- la connaissance de soi ;
- la compréhension de l’autre.
Ces deux étapes sont indispensables pour créer des relations saines, s’adapter à notre environnement et gérer les situations. Suivent quelque 133 questions pour dresser un premier constat de votre capacité émotionnelle.
Le coaching et l’intelligence émotionnelle
L’authenticité est une qualité première pour développer ses capacités émotionnelles et ne pas souffrir de dissonance cognitive (ces petites voix qui se contredisent dans votre tête et vous rappellent que vous n’êtes pas aligné avec vos valeurs).
Le coaching permet de prendre connaissance de ses compétences innées, (communication, écoute, confiance, négociation) pour les valoriser et gagner en performance.
Je veux développer mes softs skills, je contacte Mylène.
Exercices pratiques pour tirer profit de ses émotions
Améliorer son intelligence émotionnelle est un travail de tous les jours. Quelques pratiques simples et efficaces nous permettent de pacifier nos émotions. Petit à petit, on les régule et on adapte notre comportement.
➡️ La liste de vos envies pour identifier ce qui vous rend heureux. Échangez ensuite avec le reste de l’équipe.
➡️ L’écriture automatique pour se laisser surprendre par son inconscient. La créativité s’invite très souvent.
➡️ Le jeu des 3 vérités. En réunion, chaque collaborateur énonce trois affirmations. L’équipe doit trouver celle qui est vraie, ce qui développe la connaissance de l’autre.
➡️ L’émotion par l’image. Regardez une image puis parlez de vous de manière positive et bienveillante à partir de cette illustration. Vos émotions parlent d’elles-mêmes.
➡️ Le sourire. Sourire à un collaborateur énervé. S’il ne se calme pas, vous au moins n’aurez pas épongé son irritation.
➡️ Le plaisir gratuit. Un mot gentil, un geste empathique ne demandent pas de temps et apportent beaucoup tant à celui qui les donnent qu’à celui qui les reçoit.
➡️ La carte mentale (mind mapping). À partir d’un mot, créez des associations. Cette technique aide à la résolution de problèmes. Elle favorise la pensée divergente et la créativité.
Grâce à ses petits exercices, chaque collaborateur affine son intelligence émotionnelle. L’équipe, pour sa part, gagne en cohésion. Les relations deviennent plus sereines. La proximité avec le manager et entre collègues s’accentue.
L’intelligence émotionnelle : de Descartes à Daniel Goleman
Au XVIe siècle, Descartes, philosophe et physicien dualiste, fondateur de la notion « je pense donc je suis », affirme pourtant déjà que « l’émotion est l’atout qui fait la différence ».
À la fin du XIXe siècle, Charles Darwin se penchait sur les émotions humaines et animales, leur cherchant un caractère universel. Son livre L’expression des émotions incite à de nouvelles études.
Freud, dès 1894, amène la notion d’ « affect », un état d’esprit porté par une émotion. On comprend que les émotions et les réactions qu’elles génèrent interpellent de plus en plus la science.
Dans les années 90, Peter Salovey et John Mayer s’interrogent sur le contraste entre les capacités intellectuelles et les réussites professionnelles. C’est le début de la prise de conscience que des qualités, autres que techniques enseignées, permettent de réussir.
Enfin, Daniel Goleman, appelé aujourd’hui le père de l’intelligence émotionnelle, se base sur les travaux de ces derniers pour appliquer ces principes au monde professionnel. Son ouvrage, simplement intitulé l’Intelligence émotionnelle, s’est vendu à plus de 5 millions d’exemplaires.
Un peu perdu parmi toutes ces notions ? Entre émotions, sensations et intelligence, la frontière est parfois mince. Si tout réside sur la connaissance de soi et l’intérêt envers autrui, l’intelligence émotionnelle s’acquiert et se perfectionne. Daniel Goleman avance qu’on peut la développer pour maîtriser le stress, éviter la dépression ou même sauver son couple.
Nos meilleurs conseils de lecture pour tout savoir sur l’intelligence émotionnelle
📚 L’intelligence émotionnelle, de Daniel Goleman ;
📚 Le grand dictionnaire des malaises et des maladies, de Jacques Martel ;
📚 La contagion émotionnelle, de Christophe Haag ;
📚 Contre nos peurs, changeons d’intelligence, de Christophe Haag et Jacque Séguéla ;
📚 Les pouvoirs de l’intelligence émotionnelle, de Régis Rossi ;
📚 L’agilité émotionnelle : accueillir ses émotions et les transformer, de Susan David ;
📚 Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), de Marshall Rosenberg ;
📚 Les profils émotionnels (apprendre à les connaître et mieux vivre avec), de Richard Davidson
Le premier article de ce dossier Comprendre ses émotions peut vous intéresser.
Nos sources :
Les travaux de Giacomo Rizzolatti relatifs aux neurones miroirs.
En savoir plus sur Howard Gardner